Cependant, tout lecteur plus attentif au produit qu'à l'enseigne, et qui ouvre le livre (un pavé de plus de 500 pages) découvre un "prefaci" signé Gerard Joan Barceló "ancian escolan de l'Ecole Normale Supérieure de Paris, director de la revista academica Lingüistica Occitana". N'est-ce pas un bon visa pour voyager sans tracasseries? Bezsonoff ne semble pas avoir confectionné son livre pour s'inscrire à quelque concours Lépine des arbitrages des élégances académiques dans la section des langues minoritaires qui, pour être dites de France, n'en sont pas moins minorées. Stop! Il l'a confectionné, bichonné, accompagné comme une dette morale envers des personnes (regrettées) qui, d'une façon ou d'une autre, l'ont éveillé ou gardé sur les sentiers et du provençal et du roussillonnais, de l'ociitan et du catalan. Ce "Diccionari" est dédié à la mémoire de Lluís Marquet et de Lluís Creixell et s'ouvre sur une citation du poète Enric Danoy -dont nous devons la découverte à Bezsonoff. On ne s'étonnera donc pas que ce thésaurus d'amour, de reconnaissance et de célébration fasse un très bon poids intellectuel avec "13 000 entrées, 3500 synonymes, 5000 variantes dialectales, 4300 rémissions et 2000 citations des meilleurs auteurs1. C'est là le chef-d'oeuvre, dirons-nous, d'un castor herculéen, d'un bâtisseur/ restaurateur d'un château-fort, bâti en terres soeurs, assiégé, malmené mais jamais entièrement effondré. Le pont-levis de ce château-fort est abaissé du côté de la Catalogne. C'est prioritairement à ses habitants, à ses catalanoparlants, qu'il offre son hospitalité. Non pas une hospitalité pour une sieste touristique, mais une hospitalité autour d'une bonne table de connaissances, de plus dressée au centre d'une bibliothèque avec cent mille fleurs et plus de rhétorique. Il suffit de saisir l'ouvrage (accouché par Llibres de l'Índex-Barcilona) et de se retrouver dans les monts et vallées, les littoraux et arrière-pays, les villes et les villages d'un vaste pays et d'une très ancienne histoire, dominé par un phare: Mistrau/ Mistral. Sans doute celui qui maîtrise bien les langues du château (issues des temps romans) s'y trouvera bien. Celui dont la maîtrise est plus débutante se sentira paumé et regrettera l'absence d'un appui français. La mission de l'auteur n'était pas trilatérale mais bilatérale. Le "Diccionari" est une porte ouverte d'accès à l'occitan pour les Catalans.
Celles et ceux qui s'y trouvent à l'aise y prennent bien des bonheurs. L'un d'entre eux étant de se divertir à comparer. Rien de mieux, peut-être, pour voir ce qui rapproche un mot d'un autre et ce qui les éloigne. Dans la forme graphique, la phonie, la signification. La familiarité et l'exotisme. Jeu intellectuel...et alors? comme si se délurer les neurones était chose pathologique. La lecture apporte d'autres bonheurs, même si question étymologie et philologie on reste sur sa faim. L'auteur certainement s'en défendra en plaidant que ce n'était pas dans son programme. Si le "Diccionari" est un château-fort, nous le voyons ainsi, c'est un château-fort vivant, dans tous les sens. Avec ses mémoires, ses histoires et ses oublis. Certes, l'ouvrage de Bezsonoff ne renferme qu'une partie du lexique occitan, dont il a élevé au premier rang, par coup de coeur et par allégeance félibréenne, sa variété provençale encore fort vivace, sans négliger bien sûr d'autres expressions dialectales: limousine, languedocienne, gasconne... Quiconque a la fringale des mots (des absorptions modernes aussi bien que des maintiens archaïques) se régalera à parcourir les pages d'un livre qui peut, mais si, devenir un livre de chevet, car il contient aussi des contes de mille et une nuits. Il s'adresse à l'étudiant qui s'engage dans la carrière des anciens et qui n'aime pas la confusion sémantique. Il s'adresse aux anciens nostalgiques de ces temps où l'on naissait tout simplement bilingues ainsi qu' aux mainteneurs pinailleurs de cercles d'érudition. Il s'adresse encore à l'aventurier partant à la reconquête d'îles abandonnées, comme à tout instituteur des laïcités transcendantales qui devrait savoir qu'il n'y a pas de hiérarchies de vertus entre les langues et qui pleure à chaque mise à pied ou en congé de certaines d'entre elles. Enfin, Joan-Daniel Bezsonoff Montalat, qu'il faut reconnaître en figure de savant lettré, a raison de nous inviter à nous rapprocher de l'occitan, et de lire les Aubanèu( La Mióug) Mistrau (Lo pouémo dóu rose, Mireió, Lis isclo d'or) Roumanilho ...mais encore les Delpastre, Lafont (Lis camins de la saba), Roqueta (Made in France), Gras (Papalino) ...sans oublier Bonnet (Vido d'enfant) et plusieurs dizaines d'autres auteurs de cette originale anthologie littéraire bilingue qui donne couleur, saveur et charme au "Diccionari occità provençal-català". Il n'est jamais trop tard pour se jeter au cou d'une belle langue, et toutes précautions d'apprentissage ayant été prisés, de danser avec elle jusqu'au petit matin. En tout cas, Bezsonoff nous fournit un outil de séduction bien pratique. Avons-nous le droit de profiter de cet outil sans en parler à tous nos amis présents et à venir?
1. Nous regrettons l'absence de troubadours.
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