Je me suis toujours méfié des études littéraires. La biographie d'un auteur, selon moi, ne sert à rien. J'en suis convaincu depuis l'âge de quinze ans. Imaginez un vers.
" Claire, mon amour, je t'aime "
Un bon étudiant dira: " Le poète pour exprimer la force de son amour, a mis en relief le nom de la femme aimée au début du vers... "
Si jamais le poète écrit " Je t'aime, Claire, mon amour " l'étudiant commentera: " Le poète pour exprimer la force de son amour, a mis en relief le nom de la femme qu'il aime au milieu du vers. "
Imaginons, enfin, que le poète opte pour " Mon amour, je t'aime, Claire. " Faut-il que je vous donne la réponse du bon étudiant. Avec de telles opinions, vous comprendrez que tout commentaire sur ce livre serait superflu.
Josep-Maria Muñoz a beaucoup insisté pour que j’écrive ce livre. Quel intérêt a ma pauvre existence ? Je ne suis pas allé à la guerre comme mes grands-pères. Je n’ai pas d’enfant. Ma vie se confond avec l’histoire de mes livres. Têtu, patient, persuasif, Muñoz m’a aidé à comprendre que mon autobiographie intellectuelle pourrait rappeler aux Catalans que beaucoup de Catalans n’ont eu aucun grand-père ancien combattant de la guerre civile espagnole.
J’ai quelques amis écrivains. Une revue de Valence les a sollicités pour rédiger des articles sur mon œuvre. Je ne vais quand même pas leur demander de m’écrire une préface … Une éducation française n’est pas une autobiographie même si j’y parle beaucoup de moi. Je ne la considère pas non plus comme un essai ethnologique où je tente de décrire les coutumes, les odeurs, la beauté d’un pays disparu.
Grâce à la profession de mon père et à la mienne, j’ai vécu sept vies comme un chat russe. Enfant, j’ai skié dans les Alpes, j’ai couru sur les bords du Rhin, je me suis caché dans les caves de la banlieue parisienne, j’ai ramassé des coquillages et des bigorneaux sur les plages de la Manche, j’ai connu l’embaumement d’une langue sur les côtes de Provence. Dans ces temps antédiluviens sans Internet, portables, photocopies et cartes de crédit, les trains mettaient quinze heures pour unir Perpignan à Paris et il fallait attendre trois ou quatre ans pour avoir le téléphone chez soi. Les chanteurs savaient chanter. Les acteurs prononçaient admirablement le français. Le cinéma faisait rêver. Les gendarmes vous demandaient vos papiers avec la voix de Fernandel. Les voitures avaient des phares jaunes, les rues des plaques bleues avec des lettres blanches. Les vaches mangeaient de l’herbe. Les chefs de gare annonçaient les trains avec l’accent de leur pays. Les enfants croyaient au Père Noël. Les facteurs passaient deux fois par jour. Les gens faisaient leurs emplettes dans les boutiques du centre ville et non dans les supermarchés qui n’existaient pas. Personne ne brûlait de voiture la nuit de la Saint Sylvestre. Une souris laissait un franc sous le coussin de l’enfant qui avait perdu sa première dent de lait. Le président de la République éditait des anthologies poétiques, et tous les Catalans parlaient catalan.
Commentaires
Maintenant, on fout les ouvriers à la porte sans les prévenir, les femmes sont des hommes et les hommes des femmes. L'école forme des analphabètes...La télévision est le royaume de la crétinerie. Tout va bien...
C'était aussi le temps où les femmes demandaient à leur mari la permission de travailler, où le vin n'était que piquette, où la télévision été soumise à l'Etat, (et non aux industriels), le temps où les ouvriers travaillaient plus de 40 heures par semaine.... La beauté du pays disparu avait aussi une autre face!
A chaque époque ses avantages et ses contraintes!