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Titre du blog : Can Mitrofan, el blog de Joan-Daniel Bezsonoff
Auteur : Mitrophane
Date de création : 05-03-2009
 
posté le 05-03-2009 à 21:39:16

RETOUR A MASSY

Extrait d'Una educació francesa, l'Avenç, Barcelona, 2009 

 

 

Каждую ночь я вижу во сне дом, в котором я жил, когда был ребёнком.
 

Je passai à Massy la première nuit de mes vacances, presque vingt ans après mon départ. Je n’ai jamais admis cet exil. Mon père venait d’acheter un pavillon à Antony, à un kilomètre des limites de Massy. Le dimanche, quand j’allais acheter le pain, je traversais la nationale 20 pour pouvoir marcher un moment sur les trottoirs de l'avenue du président Kennedy, première artère de Massy.

Tous les samedis, je prenais l'autobus 197 à l’arrêt Blanche de Castille pour voir mes copains. Malgré mes efforts, je les ai perdus peu à peu. Il ne m’en reste plus qu’un.

Je retourne à Massy, tous les quatre ou cinq ans, la nuit. La nuit réveille les souvenirs et efface les différences avec le passé. Mes souvenirs moussent et bruissent comme de la bière.

Cette nuit de juillet, je m’y rendis avec Jean Centini.

Je voulais que mon ami connût le seul lieu où j’ai été heureux. Nous nous sommes garés au pied de chez moi, sous les peupliers et les sapins entre l'allée de Suède et le square du Portugal.

 

Ces cubes, bleus et gris des années 1960, je les vois toujours dans mes rêves. La destruction de ces cages à poules bétonnées me peinerait plus que la disparition de Versailles ou Poblet.

Je montrai à Centini la pente sur l'allée de Finlande d'où je me lançais avec ma bicyclette bleue Peugeot. Je prenais des risques alors...

Un après-midi un homme m'y avait terrorisé. Je l’avais confondu avec le chauffeur de l'autocar de Sport-Jeudi, le club sportif où mon père m'avait inscrit sans savoir que je restais jouer avec mes copains. Le soir, pour tromper mon paternel, je mouillais mon maillot de bain à l’une des prises d’eau où les jardiniers portugais alimentaient leurs lances.

Nous traversâmes la passerelle. Je ne pus pousser la porte du numéro 11 bis à cause de l’interphone. Je ne pus entrer par les caves...Pour monter chez moi, il fallait composer un code que je ne connaissais pas, presque montrer un visa, comme un homme qui a perdu la confiance d'une femme...

Est ce que l’une des mes connaissances y habitait toujours?...Les Martini? Les Martin? Les Lavenant?

J’aurais voulu connaître le nom des usurpateurs. Je leur aurais demandé de regarder chaque soir, les avions qui s’en vont au coucher du soleil sur Orly et que leurs enfants ne jouent pas trop dans nos jardins...

Il était un heure du matin. Le vieux bac à sable vide m'exhumait des gestes amicaux. La tendresse du chien d'Ulysse. Je rentrais au pays vingt ans après et maintenant, mes arbres ne me reconnaissaient pas.

Nous visitâmes toutes les cabanes dans les buissons. Chacune portait le nom d'un camarade: Brancard, Franchot, Moreels, Desbrousses, et la cabane de la salade arrachée, au bout de l'allée de Finlande, en haut du square de l'allée du Danemark avec son bac à sable minuscule, en comparaison du nôtre, ses sapins et son dolmen domestiqué...Nous n'y jouions pas souvent. Il était loin pour nos petites jambes. On y attaquait de temps en temps les jardiniers portugais. Nous leur jetions des mottes de terre. Nous salissions davantage leurs pulls couleur de marron pourri.

Sur la passerelle qui conduit au square de l'allée de Norvège, où je cueillais des prunes et des cerises avec Christian Fritsch, nous croisâmes une blonde vulgaire dans un pantalon en cuir noir. Je la maudis de profaner mon enfance.

On n’avait pas blindé, comme dans les autres immeubles du quartier, les portes en tambour...Où étaient à présent les frères Leduc?

Qui était le plus laid? Yann, le visage écrasé et prognathe? Ou bien Pierre-Yves avec sa tignasse?

Je regardais chez eux Les Bannis à la télévision. Je jouais avec eux tous les mercredis. Ils me parlaient de l’Afrique où ils avaient vécu. Leur chien, Igor, un cocker revêche a t-il crevé?

Nous arrivâmes au pied des trois tours. Quinze étages qui brillent dans mon passé.

Quand je serai trop vieux, peut-être me jetterai-je du toit de la tour du milieu.

Dans cette dernière chute, de quel visage de femme me souviendrai-je? Est-ce que je reviendrai ce samedi de 1974 chez Philippe Pilier pour regarder La charge de la brigade légère avec 'Errol Flynn?

Nous montâmes dans la voiture de Centini. Nous parcourûmes l'avenue nationale où j’allais au catéchisme chez Mme Ballavoine. Nous la considérions presque comme une étrangère car elle habitait dans une résidence blanche et non dans nos blocs bleuâtres de la COFIMEG.

 

Nous tournâmes sur l'avenue Saint Marc, où travaillait, vingt ans plus tôt, mon masseur, M. Guedj. Je l’appelais docteur car je croyais qu’il avait droit à ce titre.

Je connaissais tous les souterrains du quartier, de la place d'Allemagne jusqu’à l'allée du Danemark, mais je ne suis jamais entré dans les caves des immeubles blancs de l'avenue Saint Marc. C’était le domaine de l'homme des caves. On disait qu’il tuait les enfants ou qu’il les emportait très loin, sur un cerf-volant, en Chine. Nos lance-pierres, les mottes de terre compactes de nos cabanes ni les pistolets à eau, bleus ou verts, que nous achetions au bazar Saint Marc ne pouvaient rien contre lui.

Je voulais voler une plaque de Massy. Nous essayâmes en vain, trop ivres, d'arracher la plaque verte de la rue des Anglais, avec le lion et les fleurs de lys de la ville, derrière la synagogue et le temple protestant.

L'église Saint-Paul, mon église, même pas vieille, où j’écoutais la messe quand j’étais quelqu’un de bien, on l'a rasée...Pauvre grosse pyramide aztèque en béton!

Tous les dimanches, à neuf heures, le curé célébrait une messe pour les enfants. J’y allais par goût du merveilleux. Bien que le personnage de Jésus ne me fût pas très sympathique –je le trouvais prétentieux - ce monde animé des Evangiles: les pêcheurs, les marchands, les paysans m’attirait..

Dans les souterrains de l'église, que je prenais pour une cathédrale, les deux meutes de louveteaux se réunissaient tous les samedis après-midi. C’est Benoît Mailleux, le frère de Blandine notre cheftaine, qui m’avait recruté. On y préparait des pétards pour effrayer les jeannettes et les guides, en même temps que nos excursions dans les abbayes de l'Ile de France, au château de Boissy-la-Rivière.

Le plus beau souvenir de ma vie restera sans doute notre camp, en septembre 1974, dans le parc de la comtesse d'Estève- je l’appelais Saint-Estève- à Heudricourt.

La clinique Saint-Louis, toute blanche dans la nuit, irradiait ma nostalgie.

Je découvrais que je m’étais plus senti chez moi en me promenant, avec Jean-Luc Moreels dans le quartier bâti par la COFIMEG près de la gare de Vaires-sur-Marne, qu’en évoquant le passé avec Centini.

Nous marchions dans les rues de Massy, mais ce n’était pas le Massy que je portais en moi avec Moreels, les frères Lebrun ou Benoît Mailleux...

Je lui parlais de Marta. La dernière fois que j’étais allé à Massy, un après-midi d’automne de 1990, le souvenir de Nadine m’obsédait. Quelle autre femme aimerai-je quand j’y retournerai?

Nous descendîmes la prairie. Je retrouvais l'odeur de l'herbe fauchée. L'étang de la Blanchette ne s'était pas évaporé comme le reste. Sur les pentes de la colline, les pommiers avaient beaucoup poussé en vingt ans, comme les arbres monstrueux de L'étoile mystérieuse. J’avais lu cette aventure de Tintin en cachette, un soir, à l'étude de l'école Paul Painlevé, derrière le grand livre rouge de géographie, malgré la vigilance du directeur, M. Joseph Aldeguer.

Nous nous assîmes sur un banc et, encore ivres, nous philosophâmes...

 

 

 

 

Commentaires

taz92 le 27-11-2010 à 22:33:48
mille bravos pour votre émouvante description de Massy ; j'y ai vécu pendant la meme periode que vous, dans les "cubes COFIMEG", vastes appartements où j'ai été le plus heureux de toute ma jeunesse...(allée de Suede, qui m'a immédiatement plu arrivé là à 7 ou 8 ans ; je dis "vastes" car mes visites chez des camarades habitant ailleurs me l'ont bien confirmé !) il m'arrive encore régulièrement d'en renver la nuit, mais je suis rassuré : à mon avis ils ne seront jamais rasés, après avoir été tellement rénovés avec les verrandas et les digicodes...c'est vrai que le long passage par les caves avait quelque chose de fascinant et de merveilleux (contrairement à vous je n'ai pas connu les autres caves!) et je regrette (changement d'époque et cambriolages obligent, hélas...) de ne plus pouvoir y accéder, tout comme vous. Après 12 ans à Massy, je me suis certes rapproché de Paris ce qui avait beaucoup d'avantages (massy est quand meme loin et quel galere ce bus pour prendre le RER, si on le ratait!!), mais j'ai toujours gardé une grande nostalige de ces grands espaces et de ce "grand ensemble" qui contrairement à d'autres tant décriés, n'était pas du tout un lieu de délinquance ou de "révolte des balieues".......Nous avons, je vois, connus les memes institueurs et autres noms qui m'ont fait sourire...

Bien à vous, Benoit