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Titre du blog : Can Mitrofan, el blog de Joan-Daniel Bezsonoff
Auteur : Mitrophane
Date de création : 05-03-2009
 
posté le 21-11-2018 à 16:16:37

Le dernier des Occitans

 

 

 

 

Gaston avait connu M Bezsonoff à Tournon-sur-Rhône. Il était fatal qu’ils s’y rencontrassent puisque les deux hommes y pèlerinaient souvent. Bezsonoff à la recherche de sa jeunesse et d’un amour perdu. Gaston en quête du dernier des Occitans.

 

  Dans sa quinzième année, après avoir découvert les possibilités littéraires infinies du provençal à travers Mireille et les chansons de Victor Gelu, Gaston avait lu Mistral ou l’Illusion de Robert Lafont, lecture qui l’avait passionné. Il y avait trouvé un épisode touchant rapporté par Charles Maurras. Alors que Mistral mettait la dernière main au Poème du Rhône, il était parti pour le Vivarais afin d’y rencontrer les derniers témoins de la batellerie sur le fleuve. Il voulait y recueillir les termes techniques, l’argot, les tournures, les locutions et expression des bateliers rhodaniens d’antan. Dans une cabane, au bord du fleuve, du côté de Condrieu, un vieillard lui dit :

  —Maître, je vous attendais…

Mistral passa quelques jours avec le brave homme et collecta tout son trésor. De retour à Maillane, il écrivit au vieillard pour le remercier. La lettre lui revint avec cette mention sur l’enveloppe ‘’ Destinataire décédé.’’    

 

  Touché par cette histoire, Gaston, après son service militaire, partit sur les traces du maître, muni d’un exemplaire du Poème du Rhône. Gaston connaissait déjà Valence, chanté par Folco de Baroncelli et Bezsonoff. En revanche, il ignorait tout de la rive droite du Rhône.

 

Il découvrit un pays aussi mélancolique que Le Grand Meaulnes mais il n’y rencontra point Mlle du Galais. Il connut simplement les vignes de Saint-Péray, la plus petite appellation de France, un vin mousseux cher à Richard Wagner à moins que ce ne fût Jean-Jacques Rousseau. Les ruines du château de Crussol se tendaient au sommet d’une falaise, luttant victorieusement pour l’instant contre l’éternité qui attendait son heure. Le village de Saint-Péray, sans caractère particulier avec ses maisons basses et ses jardins tristes, lui rappela bizarrement Vargèse, station savoyarde où Tintin passe ses vacances avec le capitaine Haddock avant de s’envoler vers le Tibet.

Sans même y penser, Gaston, au volant de sa R.5 turquoise que lui avait offerte le papet, arriva à Tournon en suivant la nationale 86. Il entra dans la ville par le quai Gambetta. La façade du lycée sur le fleuve l’impressionna. On eût dit des arsenaux royaux. Il se gara sous les arbres du quai Farconnet, au pied du château. Il se se sentit bien, avec un rien de mélancolie. Personne ne parlait provençal dans les rues. Les gens avaient presque le même accent qu’à Lyon sans intonations méridionales bien qu’ils fussent plus expansifs que leurs voisins.

 

Gaston passa devant l’hôtel du marquis de la Tourette, une survivance de la vieille France avant le grand massacre fraternel. Il se recueillit dans la collégiale Saint Julien sans s’intéresser aux tableaux qu’il prit pour des croûtes. Il ne connaissait rien à la peinture. Gaston déambula dans la Grand-Rue et se réjouit qu’il y eût autant de boutiques. Il entra dans un salon de coiffure. La coiffeuse, une jolie blonde, lui fit la conversation. Elle s’était présentée au CAPES de mathématique avant d’opter pour l’art de coiffer. Quelle beauté et quelle sagesse ! Gaston regretta que Bandol fût si loin de Tournon. Il n’allait pas se lancer dans une aventure qui le(s) meurtrirait. Quand il le fallait, Gaston pouvait s’abaisser jusqu’à l’écriture inclusive…

 

 Il pénétra dans une bonbonnière qui faisait office de librairie. La librairie Courtial était petite mais bourrée de livres. Quelques volumes de la Pléiade, des dictionnaires, les nouveautés, des manuels scolaires, des livres de poche et un rayon régional bien fourni. Il acheta l’histoire de Tournon par le docteur Francus et une vieille édition du Guide Bleu de la vallée du Rhône.

Quelques mètres plus loin, il aperçut un magasin de vêtements, nommé Decoux comme l’amiral d’Indochine. La boutique semblait intacte depuis la Restauration. On y trouvait du linge de qualité supérieure, des robes de chambre, des tapis, des chemises et de charmants mouchoirs.

Gaston passa sous la porte des Barrys, au nom si provençal malgré le y incongru. La place Carnot lui plut avec son vieux cinéma, ses platanes, ses bancs, son kiosque, ses maisons de notaires. 

 

Il décida de séjourner dans la ville et s’informa d’un hôtel. Deux badauds lui recommandèrent les Azalées, établissement sis avenue de la Gare. Une bonne adresse bien que les prix, même en basse saison, fussent exagérés. Il entra, paya trois nuitées avec petit-déjeuner compris et, sur la terrasse qui donnait sur la rue du Mail et un lycée privé, il aperçut un poussah poussif, un bouddha bedonnant qui lisait Le Dauphiné Libéré. C’était Joan-Daniel Bezsonoff, auteur de romans coloniaux et d’un dictionnaire provençal-catalan dont Gaston se délectait.

  —Mestre, lui dit Gaston en catalan, soc un lector i admirador vostre. He llegit tots els vostres llibres.

  —Llegir-los rai…El principal és comprar-los…