Gaston était un cancre à l’école primaire bien qu’il eût appris à lire sans efforts avec Tipiti, le rouge-gorge, un livre délicieux de Guillot illustré par Hélène Poirié. Ce manuel, destiné à l’apprentissage de la lecture, annonçait déjà les émotions que lui procureraient Les fêtes galantes de Verlaine et La mióugrano entre duberto de Théodore Aubanel, son génial homonyme. Selon son père, il n’était pas exclu qu’ils cousinassent.
Dès le CE1, Gaston fut un lecteur vorace. Il lisait tout ce qui lui passait entre les mains, surtout les volumes de la Bibliothèque Rose et Verte. Il aimait particulièrement le Club des Cinq et la série des Mystères d’Enid Blyton, en particulier Le mystère de la péniche aux si belles illustrations.
Il avait dévoré une adaptation enfantine de l’Iliade et l’Odyssée. Cette lecture l’avait tellement impressionné qu’il avait recherché des renseignements sur les protagonistes de la guerre de Troie dans le Petit Larousse du papet, une édition d’avant-guerre où l’Algérie était encore française et le maréchal Pétain un héros national.
Cette découverte de la fugacité des Empires et des réputations avait troublé le jeune Gaston. Il adorait également les aventures de Davy Crockett, alias Croquetagne, et de son ami l’Indien Wata.
À cette époque là, l’on vendait des chefs-d’œuvre de la littérature dans les stations-service. Gaston avait ainsi découvert Les lettres de mon moulin qui l’avaient enchanté. Il y avait retrouvé tout son pays, embelli par l’invention du romancier et la nostalgie d’une civilisation qui n’existait plus. Il y avait bien longtemps que ne tournaient plus les ailes du moulin de maître Cornille. Gaston avait apprécié les phrases et les expressions en provençal intercalées dans l’œuvre, comme des grains de raisin dans un cake.
Il avait essayé de lire Le grand Meaulnes mais le papet l’avait découragé. ‘’ Une histoire de Parisiens neurasthéniques. C’est un fada qui s’entiche d’une jeune fille qu’il finit par quitter. Un fada, je te dis…’’ Comme tout ce que disait le papet était parole d’Évangile, Gaston avait attendu son service militaire dans la Marine pour lire Alain-Fournier. Gaston lisait tellement que son père le surveillait pour l’empêcher de se livrer à sa passion. De la même manière, il lui avait interdit de jouer au rugby chez les poussins de Toulon et de parler provençal avec le papet.