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Titre du blog : Can Mitrofan, el blog de Joan-Daniel Bezsonoff
Auteur : Mitrophane
Date de création : 05-03-2009
 
posté le 03-09-2018 à 11:30:45

Le provençal en 1960

 

 

Au début des années 1960, à l’époque où naquit Gaston, seuls les gens du peuple, nés avant la guerre, usaient encore du provençal. Quand il montait passer l’été chez ses grands-parents à Pampérigouste, c’était autre chose. L’occitan demeurait la langue du village. La langue des gens, des chenapans, la langue du cœur, des cultivateurs, du pharmacien, des paroissiens, du boucher, de l’épicier, du curé, du boulanger, du maire et même du notaire.  Depuis une vingtaine d’années, on parlait aux enfants en français. Le papet Baptistin, qui connaissait bien la langue ‘nationale’ qu’il avait pratiquée au service militaire et à la guerre, s’adressait en français à ses petits-enfants et à son gendre pour ne pas mécontenter sa femme.

Le papet reconnaissait volontiers que le provençal était un bien jolie langue et que rien n’égalait une messe en provençal suivie des treize desserts de Noël mais sa connaissance, non seulement ne servait à rien à son petit-fils, mais risquait de le gêner dans sa vie professionnelle. Il fallait parler pointu avec le même accent qu’à la télévision. L’accent méridional de Fernandel et Charpin était drôle dans les films mais, à l’heure de la vérité, la belle jeune fille partait le plus souvent avec l’instituteur francophone et non le paysan consanguin et patoisant. Le papet parlait donc français à Gaston mais, au bout de quelques minutes, il passait à la langue d’oc sans même s’en rendre compte malgré les mercuriales de la mamet. Il lui répondait invariablement.

  —M’escagassas.   

Un jour, alors que Gaston était en Sixième au collège Raimu de Bandol, qui venait d’être inauguré par monsieur le préfet, le professeur de lettres dicta à ses élèves un texte de Frédéric Mistral tiré de ses Mémoires. Le jeune garçon trouva le texte si beau qu’il emprunta le livre à la bibliothèque municipale en version originale, la seule disponible ce jour-là. Gaston découvrit, émerveillé, la parole magique du Maître. Après cette lecture, un paradoxe le troubla. Comment pouvait-il lire une langue qu’il ne parlait pas ? Il essaya en vain de déchiffrer des bouquins en anglais, en italien. Le provençal ne lui était point étranger. Il fallait qu’il le parlât.