Chaque année, en septembre, je m'informais du nouvel emploi du temps de Thibaut, pour pouvoir déjeuner avec lui et Michel Ferrà. Ces apéritifs culturels et drolatiques, ces repas, ces rendez-vous de l'amitié constituaient l'un des plaisirs de la vie. Nous parlions de tout et de rien.
De sa Belgique
natale, de l'intercompréhension entre le néerlandais et
l'afrikaans, de cinéma (il imitait très bien Pierre Fresnay et je
lui répondais avec la voix de Louis Jouvet), de la bataille des
Ardennes, dernier coup de dés de Hitler, durant laquelle était
morte l'une de ses tantes , de ses dernières vacances, de ce Dieu
auquel il ne croyait pas malgré mes exhortations, de la Catalogne
Nord qu'il avait adoptée et de la langue catalane qu'il aurait aimé
mieux connaître.
Il aimait les langues et en parlait plusieurs avec aisance. Durant ses voyages, il se délectait d'entendre des langages inconnus auxquels il s'intéressait tant par goût de la philologie que par respect pour les habitants des pays qu'il traversait. Je n'oublierai jamais qu'après quelques jours en Pologne, il avait appris des bribes de polonais et élaborait même quelques phrases élémentaires comme un enfant. Thibaut avait gardé de l'enfance, la curiosité, la capacité d'émerveillement devant le monde.
Il me disait
souvent ' sun català perquè fa 20 anys que visc a Perpinyà. ' Par
dessus tout, Thibaut aimait passionnément la vie et la vie l'aimait.
De tous les êtres que j'ai connus, Thibaut était l'un des plus
doués pour le bonheur. Il aimait sa femme, ses enfants, les siens,
ses amis, son métier. Il s'impliquait ardemment dans des causes
nobles et variées comme la promotion de la bicyclette, l'écologie,
le syndicalisme, la défense des arbres, des arbrisseaux et des
écureuils du Clos Banet.
Il avait même inventé un nouvel
idiome, des concepts loufoques pour désigner les inconditionnels de
l'automobile comme votre serviteur. Il me traitait avec affection de
' sale bagnolard. ' Je lui répondais alors qu'il n'était qu'un
sujet indigne, traître à son roi, puisqu'il avait dû écrire
à S M Baudoin pour devenir français.
Thibaut
était un homme dans la cité, un homme engagé dans la politique au
sens le plus noble du mot.
Thibaut était
passionné, trop parfois mais son humour, son beau sourire, ses yeux
bleus si vifs, ses éclats de rire, ses imitations de l'accent
bruxellois ou pied-noir emportaient toutes les résistances. Nous
l'aimions tous et chacun pourrait évoquer pendant des heures son
propre Thibaut, cette amitié qui continue au-delà de la vie, de
notre jeunesse et de notre peine.
Commentaires
Un bel hommage ! Meilleures pensées à ceux qui restent, sa famille, ses amis, toi.