VEF Blog

Titre du blog : Can Mitrofan, el blog de Joan-Daniel Bezsonoff
Auteur : Mitrophane
Date de création : 05-03-2009
 
posté le 15-05-2013 à 22:26:58

Madame Arnoul

 

 

Je n'oublierai jamais le jour où j'ai connu Mme Arnoul. C'était au printemps 1995 durant la semaine de Pâques. Malade chez ma grand-mère, j'avais lu, fiévreux, Madame Arnoul le livre de souvenirs que Jean-Noël Pancrazi venait de publier. Je découvris l'un des derniers stylistes français, espèce que je considérais presque perdue depuis la mort de Montherlant. Avec élégance, des phrases pleines de relatifs qui surplombent le récit comme les vérandas et les galeries de la Maison de son enfance, Pancrazi évoque, dans le primer chapitre, le temps du bonheur, la vie de tous les jours à Batna, petite localité sur les hauts plateaux de l'Algérie française oubliée aux confins du désert entre deux cités romaines. L'auteur y retrouve son Arcadie, un royaume d'odeurs et de sensations fragiles. L'enfant, contemplatif, lecteur compulsif, s'évade tous les soirs en regardant à sa fenêtre l'arrivée de l'avion de Paris.

A partir du deuxième chapitre, l'innocence se fendille. Le petit Jean-Noël découvre avec un voisin, à peine moins jeune que lui, les premières douleurs de l'amour. Pendant ce temps-là, les adultes s'agitent, causent au rythme des attentats et des rotations des hélicoptères. Batna, la petite ville sans importance connue que grâce à une marque de bonbons, se transforme en une base de l'aviation française qui élimine, méthodiquement, scientifiquement et sans scrupules les rebelles algériens. Nous voyons la guerre avec les yeux d'un enfant comme dans Hope and glory, le film de John Boorman. Avec une différence, pourtant. L' Angleterre de Boorman a changé mais elle existe toujours. L' Algérie de Pancrazi a disparu à jamais, Atlantide engloutie par les sables de la politique et le vent de l'histoire. Avec des mots superbes, des images poignantes comme dans les dernières chansons d''Édith Piaf, Pancrazi se rappelle ses derniers jours à Batna. Un matin radieux de juillet, il est parti avec ses parents en pressentant qu'il ne reverrait jamais son pays.

 

J'ai traduit ce livre car je ne supportais plus que tant de lecteurs catalans ne puissent pas le lire.

L'auteur ne me l'a jamais avoué mais je suis sûr que, certaines nuits, il voyage sur les ailes de l'avion de Paris et retourne à Batna, volant par dessus les jardins et les villas parfumées.