Article publié à la revue Cap Catalogne, mai 2013
La Catalogne jouit d'un triste privilège. Le président Lluís Companys, chef du gouvernement catalan pendant la guerre civile espagnole, fut le seul chef de gouvernement élu démocratiquement à avoir été fusillé durant la Seconde Guerre Mondiale. Nous verrons qu'une fois de plus les mythes dépassent nos pauvres existences humaines.
A l'heure où l'on parle tellement du devoir de mémoire, il est juste d'évoquer la figure héroïque de Lluís Companys, président de la Généralité de Catalogne de 1934 à 1940.
Il n'y a pas une localité de Catalogne-Sud qui n'ait donné le nom de Lluís Companys (1882-1940) à l'une de ses principales artères. Le président Companys, chef du gouvernement catalan autonome —la Generalitat de Catalunya— durant toute la guerre civile espagnole devint un symbole de la Catalogne.
Fusillé en 1940 dans les fossés de la forteresse de Montjuïc par un peloton de soldats franquistes, le président martyr s'est transfiguré en figure intouchable de l'histoire catalane. Cet avocat de formation avec sa célèbre moustache, son long nez qui n'altérait en rien son noble visage de paysan catalan, collectionna les échecs politiques toute sa vie à côté de belles réussites. Leur énumération serait fastidieuse et vaine. On ne touche pas aux mythes. Sans vouloir attenter à sa mémoire, on peut rappeler sa gestion catastrophique lors du 6 octobre 1934 où, après avoir proclamé l'indépendance d'un État Catalan au sein d'une République fédérale espagnole il finit par se rendre piteusement aux autorités militaires.
Lluís Companys mourut en héros de la démocratie avec une dignité admirable, comparable à celle des anciens Romains. Une mort héroïque peut-elle compenser toute une existence de maladresses et de tâtonnements? Dans le cas du président Lluís Companys, la réponse ne peut être évidemment que positive. Réfugié en France comme tant de dignitaires de la République espagnole vaincue, Lluís Companys refusa de partir pour l'Amérique Latine en 1940 car il ne voulait pas abandonner son fils Lluiset, handicapé mental. Arrêté par la Gestapo le 13 août 1940 à La Baule, il fut livré à la police franquiste qui le tortura avant de le soumettre à un jugement sommaire. Ses bourreaux lui reprochaient d'avoir pris le pouvoir illégalement, accusation pour le moins piquante si elle n'avait débouché sur une exécution. Toujours digne, avec un courage qui impressionna ses juges, l'ancien avocat démonta un par un tous les arguments de l'accusation. Companys se montra souvent indécis, maladroit au moment de l'action mais il possédait le sens de la formule.
' Hi ha moltes causes justes per defensar, però Catalunya només ens té a nosaltres. ' (Il y a beaucoup de causes justes à défendre, mais la Catalogne n'a que nous. )
Le président rédigea quelques lettres, fuma une dernière cigarette et demanda au chef du peloton de pouvoir mourir pieds nus afin de toucher une dernière fois la terre catalane.