Texte de Ronald Euler extrait de son excellent livre Bànd 2,
Quan podré, traduiré aquest text magnífic al català, però estic molt enfeinat amb la redacció de la meua propera novel·la. De debò. M'imagini i confiï que el lector me perdonarà...
Ronald et moi à Bayonne, 12 mai 2010
Ma petite histoire alsacienne lorraine
„Liewi Frind, ich redd mit Ejch in ere Sproch, wu s villicht bàll nimmeh gitt, schint s. Doch dàs kànn nitt sin. Denn minni Sproch redd de Sproch vom Wind, vom Fir, vom Kind un von dr Lieb.“ (« Chers ami(e)s, je m’adresse à vous dans une langue, qui peut-être bientôt n’existera plus, paraît-il. Mais cela ne peut être. Car ma langue parle le langage du vent, du feu, de l’enfant et de l’amour. )
Je suis né dans les années soixante à Sarre-Union, „Buckenum“ pour les dialectophones, en Alsace Bossue, appendice lorrain en terre alsacienne ou alsacien en terre lorraine. Mes parents me transmirent le parler local, un dialecte germanique de la famille du « francique rhénan lorrain », communément appelé „Lothringerplàtt“, en fait de l’allemand dialectal, comme je l’appris bien plus tard.
A l’école, dans les années soixante-dix, ce « patois », que je parlais avec mes camarades, n’avait pas voix au chapitre. Le français régnait en « maîtresse » . Nous nous taisions dans notre langue et écoutions, intimidés, les bonnes paroles de nos maîtres. Après l’école, je regardais sans problèmes de compréhension les feuilletons et dessins animés à la télévision allemande. Et j’appris facilement à parler l’allemand, que l’on nous enseignait comme une langue étrangère, sans référence à notre parler local, au cours moyen de l’école primaire. Au collège, je choisis l’anglais comme première langue vivante, car c’était mieux, comme on disait. Puis j’allai étudier en ville, à Strasbourg, où dans le lycée que je fréquentais, il valait mieux ne pas parler le dialecte, car c’était ringard, c’était du boche, etc… Dans quelle mesure c’était du boche, je n’en savais rien. J’avalai ma langue et me tus.
Je commençai néanmoins des études de lettres allemandes, dans une faculté où l’allemand se trouvait dans le département des langues vivantes étrangères. Alors que l’Alsace donna à la littérature allemande parmi ses plus belles œuvres au Moyen-Âge : „Das Evangelienbuch“ d’Otfried von Weißenburg, les poèmes courtois du Minnesänger Reinmar von Hagenau, le „Tristan und Isolde“ de Gottfried von Straßburg, „Das Narrenschiff“ de Sebastian Brant, entre autres. Alors que, durant la période wilhelminienne, Jean Hans Arp ou encore René Schickele marquèrent de leur empreinte les mouvements expressionnistes, dadaïstes et pacifistes. Alors que l’Alsacien Albert Schweitzer écrivait en allemand et prononça son discours pour la « Paix ou guerre atomique » dans cette langue, lors de la remise du Prix Nobel de la Paix en 1954.
Ensuite, je partis un an en pour l'Allemagne en tant qu’assistant de français. Lors de mon premier retour en Alsace, mon cœur commença à battre fort lorsque j’entendis parler français à la gare de Strasbourg. Je me sentis chez moi. Mais lorsque j’entendis le dialecte alsacien, mon cœur s’emballa comme pris de folie. Là, j’étais vraiment chez moi : „dehemm !" Je crois que c’est en Allemagne que j’ai commencé à prendre conscience que mon dialecte natal et l’allemand – standard ou haut-allemand – étaient intimement liés, que le dialecte était un tremplin vers l’allemand et que celui-ci, en retour, le vivifiait. En rentrant, je continuai mes études et grâce à des étudiants dialectophones, des écrivains, des enseignants, j’appris à connaître ma région, mes racines, les fondements de mon être. Je « réappris » à parler ma langue, sans complexes. Je découvris son origine, son histoire, sa littérature.
J’appris ainsi qu’en Alsace existait une littérature plurielle dans ses moyens d’expression, reflet des changements de nationalité et de langue que dut subir notre région frontalière au cours de son histoire mouvementée. J’appris que nos parlers alsaciens et lorrains étaient présents dans notre région depuis le Vème siècle et que c’étaient des langues germaniques, des variétés en somme d’une même langue, l’allemand. J’appris qu’une littérature en haut-allemand s’amorça à partir du XVIème siècle, suite à la traduction de la Bible par Luther, dont la langue allait servir de modèle et de référence à tous les écrivains de l’espace germanophone. J’appris qu’une littérature dans les différentes formes dialectales commença à se développer à la fin du siècle suivant. J’appris que la littérature de langue française, bien que prééminente aujourd’hui, ne se manifesta que lentement à partir de la fin du XVIIIème siècle. J’appris que certains écrivaient dans l’une ou l’autre langue, que d’autres changeaient de langue au cours de leur vie ou écrivaient même dans les trois expressions, comme aujourd’hui André Weckmann ou encore Conrad Winter et Adrien Finck, tous deux récemment disparus. J’appris que notre plus grand poème dialectal, „Schwàrzi sengessle flàckere ém wénd“, fut composé par Claude Vigée à Jérusalem, pendant la guerre du Liban en 1982. J’appris également qu’écrire en Alsace en dialecte ou en allemand pouvait être suspecté de menées anti-françaises, de nostalgies pro-allemandes, voire nazies depuis le dernier conflit mondial. J’appris que l’écrivain de langue régionale devait donc sans cesse jouer un numéro d’équilibriste, montrer sa patte blanche de bon patriote et expliquer qu’il ne faisait que défendre le droit humain inaliénable de la liberté de parole.
La littérature d’expression haut-allemande et dialectale est cependant en déclin. La plupart des auteurs sont nés dans l’entre-deux-guerres. La base linguistique de cette dernière, le dialecte, de moins en moins compris et parlé, est en effet menacée de disparition. La guerre, l’école, les médias, la société de consommation, le « cours des choses » et que sais-je encore… ont eu raison de sa pugnacité plus que millénaire. Enfin presque. Moins de 5% des enfants sont en mesure de le parler, selon certains sondages. Une reconnaissance tardive de la langue régionale sous ses deux formes – dialectale et standard –, au début des années quatre-vingt, et la mise en place marginale d’un enseignement bilingue paritaire français/haut-allemand – moins de 10% des enfants le suivent – n’ont pas inversé, jusqu’à présent, la tendance. Apparemment, en composant dans mon dialecte natal, j’écris donc dans une langue condamnée.
Pour moi, elle est la langue de mon être le plus intime, qui permet de dire les choses telles que je les ai vécues et les vis au plus près de mon corps, de mon sexe, de mon cœur et de mon âme. Elle dit les choses comme elles sont. Elle me permet de dire ce qui à mes yeux est essentiel dans la vie. Ma langue se moque de l’air du temps. Elle est libre, comme celle, qui remue, s’agite et danse dans la bouche, ami(e) des îles, des chemins de traverse, de France et d’ailleurs, elle parle le langage du vent, du feu, de l’enfant et de l’amour.
Zwische schwarz un wiss
Zwischen schwarz und weiß
Entre noir et blanc
Ronald Euler
dialecte alsacien/français/allemand/latin
SALDE. Ed 79 pages 18 €
Ouvrage disponible chez http://alsacezwei.voila.net/francais/savoirplus/dansnotremagasin/dialecte.htm
Ronald et moi à Arcangues, 13 mai 2010
« S’gétt hitt schun Noochwuchs én unsere àlde elsässische Dichterzunft: dini Gedichtle, lièwer Ronald Euler, sén voll Liècht, Sénn, Kràft un Scheenheit. « Aujourd’hui, il y a déjà une relève dans notre vieille corporation de poètes : tes poèmes, cher Ronald Euler, sont pleins de lumière, de sens, d’énergie et de beauté. » Claude Vigée